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Et si on remettait l’agronomie au cœur de nos décisions ?

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A l'origine une contrainte réglementaire, les couverts se sont progressivement transformés en super atout agronomique !

Beaucoup de systèmes de conduite des cultures voient le jour aujourd’hui ! En terres fortes, les structures sont fragiles. Lombrics, bactéries champignons et autres êtres vivants se partagent l’espace au milieu des nombreux rhizomes qui facilitent la circulation de l’eau. Les cultures intermédiaires sont primordiales pour améliorer les structures et les échanges. La transition vers du semis direct et l’agriculture de conservation devra maintenir ce délicat équilibre entre compaction, salissement et économie !

Le GEDA d’Esternay avait à cœur pour son assemblée générale d’échanger autour d’un pilier fondamental de l’agriculture : l’Agronomie ! Pour les adhérents, le GEDA se doit de rester un lieu où toutes les techniques se côtoient dans la plus grande tolérance et le plus grand respect des pratiques de chacun ! Labour ou pas ? Travail du sol ou pas ? Cipan simple ? Double ? Multiple ? Quelle conduite pour les sols de Brie, des limons et des argiles lourdes et bien souvent les deux dans une même parcelle ? Comment gérer l’enherbement, de plus en plus critique dans certains secteurs ?
Pour cela Antonio Pereira, conseiller agronomie et spécialiste agriculture de conservation en terres fortes est venue poser les grandes lignes.

Le constat

Notre intervenant constate que certains évènements climatiques déclenchent des phénomènes déstructurant pour nos sols : érosion, sécheresses de plus en plus fréquentes avec de fortes températures. Il reconnait aussi que la réglementation devient de plus en plus draconienne (avenir du glyphosate) et complexe, et enfin que la société évolue et commence à demander des comptes (le coût des inondations de mai et juin est estimé à 430 millions d’euros !).

Le second constat est que le sol est l’outil n°1 de l’agriculteur et qu’il est très riche (1g de sol peut contenir de 100 millions à 1 milliard de bactéries, 1 à 3 mètres de mycélium, quelques millions de protozoaires, 1000 à 2000 nématodes, jusqu’à 100 arthropodes, 5 oligochètes). Il contient des organismes vivants, mais aussi  des kilomètres de racines qui se comptent par milliers à l’échelle d’un ha. Cette rhizosphère contribue considérablement aux entrées de carbone et aux processus microbiens.

L’objectif est de prendre soin de cette richesse et de la favoriser ! Mais attention, aucun système n’est simple ou facile.

Les sols non crayeux sont tous très différents : les limons restent très sensibles à la compaction et sont très fragiles. Les sols argileux, eux, présentent des difficultés au semis, ne serait-ce que parce que le sillon ne se referme pas toujours derrière le passage d’un disque !

Le matériel a considérablement évolué, passant d’une pression de 0.1 bar en 1930 (chevaux) à 2.3 bars à 40 cm de profondeur aujourd’hui ! 1 intégrale (arrachages de betteraves) peut peser 62 t en charge (23 « Ford 5000 » réunis !). Si les charges dépassent 20 t/essieu, la compaction peut descendre jusqu’à 60 cm, et la fertilité en est affectée (baisse parfois constatée de 50% !). Pour « réparer » cet accident d’un instant, il faudra patienter entre 5 et 10 ans !

Tout est dans l’équilibre, le semis direct est impossible si le sol n’est pas prêt !

Certes les vers de terre auront un rôle majeur sur l’amélioration des structures, mais ne pourront pas tout faire ! Un diagnostic avec une simple bêche reste primordial et une correction mécanique peut être indispensable pour remédier à une forte compaction.

Si on veut diminuer le travail du sol pour diminuer les agressions sur les structures, il faut envisager une phase de transition, sur une structure saine, en augmentant progressivement la quantité de couverts végétaux qui amélioreront la portance en surface et en profondeur.

Autre grand impératif d’une parcelle saine : le semis sur sol propre ! Il est très difficile de gérer un sol sans trop le travailler si les stocks de graines en surface sont importants !

La rotation devra est adaptée : les cultures ne se traitent pas toutes avec les même produits. On peut imaginer 2 cultures de printemps derrière une paille. On peut imaginer de l’escourgeon derrière une tête de rotation pour éviter les repousses de blé !

La gestion de la paille est aussi posée : si elle doit être broyée, il faudra soigner sa répartition ! Si elle est andainée pour être pressée, la concentration en menue paille sous l’andain favorisera les relevées et consommera plus d’azote ! De la même manière, les chaumes coupées haut favoriseront le passage des semoirs à disque, mais aideront à la prolifération des campagnols ! Et la solution contre ces nuisibles viendra par le travail du sol avec une herse à paille par exemple !

Les couverts : des outils indispensables pour nos sols

A l’origine une contrainte réglementaire, les couverts se sont progressivement transformés en un super atout agronomique. L’enjeu de ce début de 21ème siècle est de remplacer progressivement l’acier et le fuel par de la photosynthèse ! Pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôles de recyclage de l’azote (en plus du piégeage), de protection des sols et d’entretien des structures, il faudra assurer les semis, les soigner, les déclencher le plus tôt possible derrière la moissonneuse-batteuse.

La nature des couverts est primordiale. Les crucifères comme les moutardes seront plutôt évitées (montée à graine trop rapide). Il en sera de même pour l’avoine. Phacélie et sarrasin aideront à la fixation du phosphore et ce dernier aura un effet allélopathique surtout sur graminées. Si on exporte souvent les pailles, il faudra apporter des cultures favorables à des sols à C/N élevé (tournesol, sarrasin, phacélie, avoine, lin). A l’inverse les légumineuses (restituant de l’azote) conviendront à des sols à C/N faibles. Certaines espèces pourront être néfastes sur certaines pathologies : ainsi la vesce est à éviter lorsqu’il y a risque d’aphanomyces. La recette est simple : mélanger au moins 4 espèces, avec un maximum de légumineuses, en veillant à ne jamais implanter la même espèce la même année en couvert et en culture !

Enfin il faut songer à la destruction : il est toujours plus facile de détruire des couverts de dicotylédones que des couverts de graminées ! Avant des cultures de printemps, le couvert sera de préférence détruit en hiver. Au printemps, si on, ne dispose pas d’outils spécialisés dégageant la ligne de semis, la destruction tardive engendre bien souvent du retard et de l’irrégularité en végétation !
Mécaniquement, on peut ainsi mieux mulcher et mieux incorporer couverts et parfois effluents d’élevage. On réchauffera probablement mieux le futur lit de semence, mais la structure risquera d’être impactée par le passage de roues !
L’économie n’est pas en reste sur le raisonnement : le coût du travail est à prendre en compte ; le passage d’une charrue reviendra à environ 57 €/ha contre celui du broyeur à 39 €, de déchaumeurs à 30 € et du gel à … 0 €/ha sans la main-d’œuvre !

Les plantes compagnes répondent aux attentes…

Aujourd’hui bien utilisées dans les colzas, elles permettent de répondre à une société de plus en plus demandeuse de diversité dans les paysages. Mais d’un point de vue agronomique, celles-ci permettent probablement de perturber le vol des insectes, peut-être d’améliorer l’efficience de l’azote et de limiter parfois les désherbages (utilisation de micro-doses), même s'il est fortement recommandé de ne pas le faire en parcelles sales !

Pour les colzas associés, la technique passera par un semis précoce, début à mi-août, par une fertilisation localisée (azote et phosphore, voire soufre), par une association à base de féveroles associées ou non à des lentilles, sarrasin, trèfle blanc nain, par des microdoses en post-levée précoce pour désherber !

Vers une agriculture de conservation ?

En dehors des objectifs principaux que sont l’amélioration de l’infiltration de l’eau, de la biodiversité, de la matière organique, de la fertilité et de l’économie en azote, eau et énergie, le but premier des exploitants agricoles est d’augmenter ses revenus !

Cela passe par une comparaison des coûts à l’implantation. Arvalis-institut du végétal a comparé 6 exploitations dont les systèmes diffèrent : le labour coutera 134 €/ha en mécanisation contre 103 € sans labour avec le matériel classique, 95 € en sans labour avec un matériel spécifique et 65 et 67 € sur déchaumeur ou en direct ! L’utilisation du glyphosate s’élève à 2 €/ha en système labouré contre 6 à 7 €/ha sans labour (quelle que soit la technique d’implantation). Mais le plus important reste les coûts de main-d’œuvre : un labour coûtera 31 €/ha alors que le semis direct reviendra à 10 €/ha !

Peut-on faire sans glyphosate ?

Pour finir, Antonio ne peut s’empêcher de reprendre cette question qui taraude tous les « conservateurs » ! Il se permet une comparaison avec le sel, la caféine et même la toxine botulique en comparant les DL50 (dose létale) : tous ces produits utilisés sont tous toxiques si on les utilise à forte dose, et le glyphosate est classé cancérigène probable au même titre que la caféine, la théophiline, le cholestérol, l’alcool, le safrole, le paracétamol, les tanins, le talc, le nylon, le limonène,…. « Peler une orange projette dans l’air des microparticules contenant du limonène qui sont considérées cancérigènes… ».

Les essais avec le Beloukha (bioherbicide) issus de Arvalis-institut du végétal confirment une efficacité supérieure aux solutions classiques mais à la dose de 16 l/ha ! Et cette efficacité décroit avec la reprise de croissance des adventices (méristèmes non atteints) !

Du pragmatisme !

Pour conclure, Antonio Pereira insiste sur le pragmatisme ! Il faut éviter tout dogmatisme dans notre agriculture, continuer à utiliser la chimie à bon escient et surtout replacer l’agronomie au cœur du système, c’est ce que s’efforcent de faire les adhérents du GEDA en continuant leurs nombreux échanges autour de systèmes tous tout autant raisonnés que justifiés !